Les données sur les prix des logements par rapport aux revenus viennent d’être mises à jour avec les chiffres du 3ème trimestre 2015. C’est l’occasion de s’interroger sur le rôle joué par le niveau exceptionnel des taux sur le ratio « prix des logements/revenu » que nous suivons depuis de nombreuses années à travers les graphiques proposés par Jacques Friggit et son équipe du CGEDD. La surélévation importante des prix par rapport aux revenus, malgré les baisses récentes, peut-elle seulement s’expliquer par les conditions de financement beaucoup plus accommodantes ? Voici quelques éléments de réponse pour y réfléchir.
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L’immobilier reste surévalué par rapport aux revenus malgré 4 ans de baisse
L’équipe qui se charge d’étudier l’évolution des prix des logements sur le long terme au sein du CGEDD a mis à jour les données graphiques avec les dernières informations connues pour le 3ème trimestre 2015. Le dernier point de ces courbes est donc sujet à modification dans les mois à venir car ils s’appuient sur des données provisoires aussi bien au niveau des prix des appartements et des maisons que des revenus disponibles des ménages.
La situation est la suivante en cette fin d’année 2015 (à comparer avec les courbes de Friggit en 2013), les prix de l’immobilier en France restent très surévalués par rapport aux revenus en comparaison avec la tendance long terme :
Ce graphique provient des travaux de Jacques Friggit.
Ce graphique vient confirmer que le nombre de transactions s’améliore sur 12 mois glissants, mais le ratio « prix/revenus » reste à un niveau très élevé.
Dans le détail, on peut surtout voir que c’est la situation à Paris et en Ile-de-France qui accentue ce phénomène global pour la France métropolitaine. En effet, en province, le dégonflement de la bulle immobilière est bien plus avancé :
Ce graphique provient des travaux de Jacques Friggit.
En Province, on est revenu à un point le plus bas depuis 2005. Ce qui est loin d’être le cas de l’Ile-de-France ou de Paris. Quoi qu’il en soit, tous les prix des logements sont encore très élevés par rapport à cela. Nous allons nous interroger sur le rôle que jouent des taux historiquement très bas sur une longue période dans cette surélévation des prix par rapport aux revenus.
Le contexte de longue période de taux très bas : une première historique
Comme nous l’avons vu dans notre bilan de l’immobilier en 2015 et les tendances pour 2016, sur l’ensemble de l’année 2015 les taux d’emprunt immobilier n’ont jamais été aussi bas de toute la période récente de l’histoire :
Ce graphique provient des travaux de Jacques Friggit.
Le taux mensuel moyen le plus haut observé en 2015 est inférieur au précédent record historique mensuel qui datait de décembre 2014. Une situation extraordinaire au niveau des financements qui a eu un impact fort au niveau du marché immobilier. D’une part, c’est ce qui a permis de réaliser un nombre de ventes bien plus important qu’en 2014. En effet, la communication globale sur ces taux exceptionnels a incité de nombreux ménages à acheter de l’immobilier pour en profiter.
Dans la réalité, même si le contexte global est meilleur que ces dernières années, il n’y a pas de quoi se précipiter dans un achat pour autant. Seuls les acquéreurs qui investissent pour du très long terme (au moins 8 à 10 ans en Province et plus de 20 ans à Paris) limiteront les risques de subir les futures corrections.
En outre, si l’on étudie de plus près l’évolution du taux d’intérêt net d’inflation, c’est-à-dire des taux nominaux affichés auxquels on retire l’inflation, on se rend compte que le taux réellement payé a en réalité augmenté par rapport à celui de la période 2011-2012 :
Ce graphique provient des travaux de Jacques Friggit.
Ceci s’explique par une inflation de plus en plus basse. Les taux apparaissent au plus bas quand on ne tient pas compte de l’inflation. Cependant la chute de l’inflation d’environ 2 à 2.5 % en 2012 à 0 ou presque en 2015 joue un rôle majeur. Seulement, très peu d’acquéreurs se soucient de cela et ne regardent que le niveau nominal des taux de crédit immobilier pour en conclure que c’est un bon moment pour acheter et s’endetter.
Quel écart attribué aux taux d’emprunt ? Quelle marge de baisse ?
Depuis 2011, on assiste à un dégonflement lent de la bulle immobilière quand on ne regarde que l’évolution du ratio « prix/revenus ». La chute des taux a joué un rôle d’amortisseur pour que les prix ne s’effondrent pas bien davantage. Dans un contexte de longue période de taux bas, peut-on penser revoir un jour le ratio « prix/revenus » dans le tunnel historique observé entre 1965 et 2002 sans hausse importante des taux ?
D’ailleurs, en observant attentivement la courbe de l’évolution du taux d’emprunt net d’inflation, on peut constater que la sortie de ce « tunnel de Friggit » s’est produite à partir de 2002-2003 quand le taux réel a chuté de 3-3.5 % à environ 2 %.
Pour que le facteur taux joue à la hausse sur les prix, il faut qu’ils baissent. On parle généralement d’une hausse d’environ 8 % des prix pour une baisse de 100 points de base sur les taux avec tous les autres paramètres constants (ce qu’il est impossible de vérifier dans des conditions réelles tant le nombre de variables qui joue sur les prix des logements est important).
Si l’on s’en tient à cette moyenne pour l’impact d’une baisse des taux sur les prix, on ne devrait se situer que dans une surélévation de l’ordre de 8 à 12 %. Or nous en sommes encore loin. Le niveau des taux d’emprunt ne peut donc pas expliquer à lui seul que le ratio prix/revenus soit si éloigné de son tunnel historique.
Au niveau des conditions de financement, d’autres facteurs ont permis de gonfler temporairement le pouvoir d’achat immobilier en endettant beaucoup plus les ménages :
- La forte hausse des durées des crédits immobiliers, même si celle-ci s’est réduite depuis que les banques ont été sommées de se montrer plus prudentes en 2011, on observe toujours des durées moyennes d’emprunt élevées.
- Le niveau d’apport exigé avant d’accorder un prêt est passé par un point zéro au moment de la surchauffe du marché et des prix. Là encore les banques ont dû modifier leurs comportements pour diminuer les risques en exigeant plus de garanties. Néanmoins, on est loin d’être arrivé à des niveaux d’apport exigés importants pour toutes les banques et tous les types de dossier de financement.
Il est plus difficile de mesurer l’impact de ces changements de conditions de financement sur le ratio « prix/revenus ». Cependant, cela n’explique pas toute la proportion de surélévation supplémentaire. Le rôle joué par les changements de conditions d’emprunt (taux, durée, apport) est loin d’être négligeable. Pourtant, il n’explique pas tout. Dans ce graphique qui tient compte des conditions de financements, on constate qu’il reste une bonne marge de gains à grappiller sur les prix pour retrouver un niveau plus intéressant qu’après 2004 :
Ce graphique provient des travaux de Jacques Friggit.
En enlevant ce facteur « conditions d’emprunt », qui peut si ces conditions perdurent pendant de longues années avoir décalé vers le haut le tunnel historique du ratio « prix/revenus », il n’en reste pas moins que les prix restent surévalués par rapport aux revenus actuels. Certes d’une manière plus ou moins importante en fonction de l’impact que l’on attribue aux financements. Cela signifie que la tendance de baisse des prix devrait dans le scénario le plus probable se poursuivre dans les années à venir à conditions de financement identiques.
Et si les taux finissent par remonter ?
Les actions des différentes banques centrales ont amené les taux à des niveaux toujours plus bas ces dernières années. Ceci a profondément modifié les comportements économiques et pose différents problèmes. La difficulté pour elles est d’essayer de faire remonter progressivement leurs taux directeurs sans provoquer de crise profonde au niveau économique. La croissance mondiale reste faible malgré un afflux de liquidités sur les marchés financiers, l’inflation est loin de l’objectif de 2 % en Europe fixé par ces banques centrales, notamment à cause de l’effondrement du prix du pétrole et de nombreuses matières premières.
En maintenant des taux au plus bas, les banques centrales n’ont plus beaucoup de marge de manœuvre en cas de difficultés futures. En remontant progressivement les taux directeurs et en laissant le temps aux acteurs économiques de s’y adapter, cela leur permettra de retrouver un peu plus de marge de manœuvre en cas de crise à venir.
En ce qui concerne l’immobilier, le maintien de taux d’emprunt toujours plus bas engendre des tensions supplémentaires sur les prix. En France, par exemple, cela a fortement ralenti la vitesse de dégonflement de la bulle actuelle. En cette période de revenus qui augmentent peu et qui sont de plus en plus taxés, les taux jouent un rôle prépondérant actuellement dans la capacité d’achat des ménages. Si les taux remontent progressivement, cette capacité d’achat se verra réduire d’autant et cela conduira à moyen terme à faire baisser beaucoup plus fortement les prix. En effet, ces derniers sont déjà en diminution avec des taux qui baissent, une hausse des taux même limitée, viendra accélérer la chute des prix. Le seul point d’incertitude réside dans le timing de ces changements. Étant donné la situation économique globale, cela ne peut être fait que de manière très progressive sous peine de créer de graves problèmes.
Le scénario le plus probable est donc celui d’une très lente remontée des taux directeurs et donc d’une très lente remontée quelques mois plus tard des taux de crédit immobilier. Un scénario de taux très bas pendant encore de longues années (comme au Japon depuis plus de 20 ans) n’est pas à exclure non plus. Ce n’est pas une raison pour ne pas chercher à obtenir le taux d’intérêt le plus bas possible en sélectionnant bien sa banque.
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